Archive for February, 2007

1975

Thursday, February 1st, 2007


La difficulté : cinq jours de répétition. Quel fil relie tous ces fragments ? Nous n’avons pas le temps de faire l’épreuve du plateau. Trop peu de jours de répétitions. Il faut donc arriver avec une partition quasi définitive dès le premier jour. Comment trouver un régime propre au théâtre pour traiter ces textes où l’écriture est une distance ?

Il faut trouver le principe d’«écriture», le levier, le point archimédique qui engagerait mon basculement du livre vers le plateau. Double difficulté : foisonnement des centres d’intérêt et épuisement dans la question. Le fragment comme dramaturgie à sauts et à gambades, mais à organiser malgré tout, pas aléatoire, sinon cela devient gratuit. Quoi, lorsqu’on met des fragments à la suite, nulle organisation possible ? Que veut dire une suite pure d’interruptions ?
Les plans de l’ébauche d’un roman laissés par Barthes offrent une trame possible. Les thèmes rassemblent un certain nombre de «soucis» barthésiens. Du deuil à l’écriture. Ce roman qu’il n’a jamais pu écrire. Nous avons donc suivi un des plans de la Vita Nova.
Ces moments à la MC, ces moments de lectures, sont aussi l’occasion de travailler autrement, d’essayer des choses, de les tester, d’en montrer des ébauches aux spectateurs.
Cinq jours de répétitions. C’est une lecture, cela devra rester une lecture, sinon on risque le malentendu avec le public. Pourtant, je ne peux me résoudre à une simple lecture avec table et carafe d’eau. J’ai besoin d’espace, que ca s’inscrive dans du «plan», que cela se déploie, s’étende. Chantal me propose une forme «déambulatoire», entre le défilé de mode et l’allée des Antiques Péripatéticiens. Un penseur en bonne santé, c’est un penseur qui marche (Nietzsche). La petite inquiétude du passage à l’oralité, une inconnue : est-ce que la langue de Barthes passe la rampe ? Après le premier effet d’étrangeté, le «très écrit», Jacques et Benoît, même si certaines choses leur ont échappé, sentent malgré tout la force d’une pensée et la beauté d’une langue. L’intuition de la partition trouve enfin un écho dans celle des comédiens. Ils vont, ils ont envie, de défendre les textes. Ca glisse, c’est évident. Je me rends compte cependant de la dimension mélancolique de la partition, et l’humeur s’en ressent. Un ton un peu grave, ou solennel, ou professoral. J’aime ce temps. Les silences de Barthes durant les déjeuners en tête-à-tête avec les amis. Le taiseux. La solitude devant l’œuf mayonnaise au Flore. J’accentue deux régimes différents entre Benoît et Jacques.

Autre difficulté pour moi en ce moment: le blog. Se relire avant de publier? La tentation de reprendre, d’amender, de corriger, de compléter une pensée sommaire, parcellaire.
Ce que j’écris, suis-je sûr de pouvoir le supporter huit jours plus tard, à jeun ? Cette phrase, cette idée (cette idée-phrase) qui me contente quand je la trouve, qui me dit qu’à jeun elle ne m’écoeurera pas ? Comment interroger mon dégoût (le dégoût de mes propres déchets) ? Comment préparer la meilleure lecture de moi-même que je puisse espérer : non pas aimer, mais seulement supporter à jeun ce qui a été écrit ?

S. relisant son journal, le corrige, rectifie des formules, arrange sa pensée. Je m’en étonne : «Alors ce n’est plus toi au moment où tu as écrit cela qu’on lira, mais toi au moment où tu corriges» lui dis-je. Pour elle, le journal intime n’est pas une opération de déchargement, mais une opération qui se rajoute non pas à soi-même, mais au monde. Elle exprime quelque chose en extension à elle-même, dans une autre dimension. Donc, elle a droit de l’améliorer. Ce n’est jamais une intimité, mais une extension, c’est une façon d’être entourée d’extension virtuelle de soi, c’est une vie en plus du «moi», une intimité toujours au-devant-d’elle-même. Ca n’aide pas, mais c’est une liberté, ca ne colle pas à soi, mais ça crée un espace. Entre le «moi» et ce que elle a écrit, elle a créé son espace. Le moi ne préexiste pas à son journal. Ce n’est pas le «moi» qui s’épanche, mais un «ça» qui créé une virtualité du «moi» et qui existe en tant que tel, créant ainsi une simultanéité entre la virtualité du moi et son existence. Ce n’est pas un journal intime au sens narcissique, comme le journal intime de la jeune fille qui se (la) raconte. Chez l’écrivain, il n’y a que le journal qui rend certain du moi, mais on ne devrait pas appeler ça un journal intime, mais peut-être un «journal d’identité».

Nicolas Bigards

Roland Barthes par Roland Barthes
Le mondain, le casanier, la sauvage : n’est-ce pas la tripartition même du désir social ? (III 90) L’écriture n’a-t-elle pas été pendant des siècles la reconnaissance d’une dette, la garantie d’un échange, le seing d’une représentation ? (II 102) L’ennui serait-il donc mon hystérie ? (III 108) D’où vient donc cet air-là ? La Nature ? Le Code ? (III 118) Mais je n’ai jamais ressemblé à cela ! - Comment le savez-vous ? Qu’est-ce que ce «vous» auquel vous ressembleriez ou ne ressembleriez pas ? Où le prendre ? A quel étalon morphologique ou expressif ? Où est votre corps de vérité ? (III 120) Qu’est-elle (la bêtise) ? Peut-être avons-nous envie de nous mettre dans le tableau ? Qu’est-ce qui, dans les pratiques de la jeune fille bourgeoise d’autrefois, excédait sa féminité et sa classe ? Quelle était l’utopie de ces conduites ? (III 134) Sacrifier sa vie langagière au discours politique ? Comment dès lors tolérer sans deuil que le politique rentre lui aussi dans le rang des langages, et tourne au Babil ? (III 135) Beaucoup de textes d’avant-garde (encore impubliés) sont incertains : comment les juger, les retenir, comment leur prédire un avenir, immédiat ou lointain ? Plaisent-ils ? Ennuient-ils ? (III 136) Ne sais-je pas que, dans le champ du sujet, il n’y a pas de référent ? Contemporain de quoi ? (III 137) A quoi m’en tenir sur le désir de l’autre, sur ce que je suis pour lui ? Ne serait-il pas possible de jouir de la culture bourgeoise (déformée), comme d’un exotisme ? (III 140) Pour détruire, en somme, il faut pouvoir sauter. Mais sauter où ? dans quel langage ? Dans quel lieu de la bonne conscience et de la mauvaise foi ? (III 143) Où suis-je parmi les désirs ? Où en suis-je du désir ? (III 144) Un brin de sentimentalité : ne serait-ce pas la dernière des transgressions ? la transgression de la transgression ? (III 145) Qui sait si cette insistance du pluriel n’est pas une manière de nier la dualité sexuelle ? (III 147) Mais ce qui se répète est parfois bon ? Le thème, qui est un bon objet critique, c’est bien quelque chose qui se répète ? (III 149) Par rapport aux systèmes qui l’entourent, qu’est-il ? (III 151) A quoi sert l’utopie ? (III 153) De quel contemporain vouloir copier, non l’œuvre, mais les pratiques, les postures, cette façon de se promener dans le monde, un carnet dans la poche et une phrase dans la tête (tel je voyais Gide circulant de la Russie au Congo, lisant ses classiques et écrivant ses carnet au wagon-restaurant en attendant les plats ; tel je le vis réellement, un jour de 1939, au fond de la brasserie Lutétia, mangeant une poire et lisant un livre) ? La linguistique doit-elle s’occuper du message ou du langage ? C’est-à-dire en l’occurrence de la nappe de sens telle qu’on la tire ? Comment appeler cette linguistique vraie, qui est la linguistique de la connotation ? (III 154) L’écriture me soumet à une exclusion sévère, non seulement parce qu’elle me sépare du langage courant («populaire»), mais plus essentiellement parce qu’elle m’interdit de «m’exprimer» : qui pourrait-elle exprimer ? (III 161) Comment parler de qui, à qui on l’aime ? Comment faire résonner l’affect, sinon à travers des relais si compliqués, qu’il en perdra toute publicité, et donc toute joie ? (III 161) Combien de fois le discours universel n’a-t-il pas employé cette expression : «un ami dévoué» ? (III 163) Pourquoi la science ne se donnerait-elle pas le droit d’avoir des visions ? (Bien souvent, par bonheur, elle le prend.) La science ne pourrait-elle devenir fictionnelle ? Ces grenadiers amoureux, mélancoliques, de quel langage tiraient-ils leur passion (peu conforme à l’image de leur classe et de leur métier) ? Quels livres avaient-ils lus - ou quelle histoire entendue ? Emmêlement du corps et du langage : lequel commence ? (III 164) Comment est-ce que ça marche, quand j’écris ? Qui est plus important, historiquement : Fourier ou Flaubert ? Ecrire par fragments : les fragments sont alors des pierres sur le pourtour du cercle : je m’étale en rond : tout mon petit univers en miettes ; au centre, quoi ? (III 165) Quoi, lorsqu’on met des fragments à la suite, nulle organisation possible ? Que veut dire une suite pure d’interruptions ? Dès lors le but de tout ceci n’est-il pas de se donner le droit d’écrire un «journal» ? Ne suis-je pas fondé à considérer tout ce que j’ai écrit comme un effort clandestin et opiniâtre pour faire réapparaître un jour, librement, le thème du «journal» gidien ? (III 167) La boisson serait-elle une bonne tête de lecture (tête chercheuse d’une vérité du corps) ? Le bon vin n’est-il pas celui dont la saveur se décroche, se dédouble, en sorte que la gorgée accomplie n’ait pas tout à fait le même goût que la gorgée amorcée ? (III 168) Etre gaucher, cela veut dire quoi ? Peut-on - ou du moins pouvait-on autrefois - commencer à écrire sans se prendre pour un autre ? (III 170) Et si je n’avais pas lu Hegel, ni La Princesse de Clèves, ni Les Chats de Lévi-Strauss, ni L’Anti-Å’dipe ? N’avons-nous pas assez de liberté pour recevoir un texte hors de toute lettre ? Où commencent mes devoirs de lecture ? (III 172) Comment faire route avec l’avant-garde et ses parrains, lorsqu’on a le goût irénique de la dérive ? (III 173) Et pourtant (malice fréquente de toute accusation sociale), qu’est-ce qu’une idée pour lui, sinon un empourprement de plaisir ? Et s’il y avait, à titre de perversion seconde, une jouissance de l’idéologie ? (III 174) Cet horizon zoologique (de l’imaginaire) ne donne-t-il pas à l’imaginaire une précellence d’intérêt ? Est-ce que ce n’est pas là, épistémologiquement, une catégorie d’avenir ? (III 175) Qu’est-ce que l’influence ? Il faut donc distinguer les auteurs sur lesquels on écrit et dont l’influence n’est ni extérieure ni antérieure à ce qu’on en dit, et (conception plus classique) les auteurs qu’on lit ; mais ceux-là, qu’est-ce qui me vient d’eux ? (III 176) Ce que j’écris, suis-je sûr de pouvoir le supporter huit jours plus tard, à jeun ? Cette phrase, cette idée (cette idée-phrase) qui me contente quand je la trouve, qui me dit qu’à jeun elle ne m’écoeurera pas ? Comment interroger mon dégoût (le dégoût de mes propres déchets) ? Comment préparer la meilleure lecture de moi-même que je puisse espérer : non pas aimer, mais seulement supporter à jeun ce qui a été écrit ? (III 179) Je t’aime, je t’aime ! Surgit du corps, irrépressible, répété, tout ce paroxysme de la déclaration d’amour ne cache-t-il pas quelque manque ? Quoi ? Condamnés pour toujours au morne retour d’un discours moyen ? N’y a-t-il donc aucune chance pour qu’il existe dans quelque recoin perdu de la logosphère la possibilité d’un pur discours jubilatoire ? A l’une de ses marges extrêmes - tout près, il est vrai, de la mystique -, n’est-il pas concevable que le langage devienne enfin expression première et comme insignifiante d’un comblement ? (III 181) Mais la réponse jubilatoire, si par miracle elle survient, que peut-elle être ? Quel est le goût du comblement ? Ecrivant tel texte, il éprouve un sentiment coupable de jargon, comme s’il ne pouvait sortir d’un discours fou à force d’être particulier : et si toute sa vie, en somme, il s’était trompé de langage ? (III 182) Pourquoi si peut de goût et, si peu d’aptitude pour les langues étrangères ? Le rêve d’une syntaxe pure et le plaisir d’un lexique impur, hétérologique (qui mélange l’origine, la spécialité des mots) ? (III 183) Structuraliste, qui l’est encore ? Comment ce jour-là donner un sens à mon silence, puisque, de toutes manières, je ne peux parler ? (III 184) Puis-je aujourd’hui écrire comme Balzac ? (III 185) Quel droit mon présent a-t-il de parler de mon passé ? Mon présent a-t-il barre sur mon passé ? Quelle «grâce» m’aurait éclairé ? seulement celle du temps qui passe, ou d’une bonne cause, rencontrée sur mon chemin ? Il ne s’agit jamais que de cela : quel est le projet d’écriture qui présentera, non pas la meilleure feinte, mais seulement : une feinte indécidable (ce que dit D. de Hegel) ? Si l’on supprimait l’œdipe et le mariage, que nous resterait-il à raconter ? (III 187) Comment être dispos à volonté ? (III 188) La Doxa est oppressive, on le sait. Mais peut-elle être répressive ? (III 189) Voit-on le prolétaire ou le petit commerçant avoir des migraines ? Pourquoi, à la campagne (dans le Sud-Ouest), ai-je des migraines plus fortes, plus nombreuses ? Qu’est-ce que je refoule ? Mon deuil de la ville ? La reprise de mon passé bayonnais ? L’ennui de l’enfance ? De quel déplacement mes migraines sont-elles la trace ? Mais peut-être que la migraine est une perversion ? Je serais donc dans un rapport malheureux/amoureux avec mon travail ? Une manière de me diviser, de désirer mon travail et d’en avoir peur tout à la fois ? (III 190) N’y a-t-il pas toujours de l’éthique dans le politique ? Ce qui fonde le politique, ordre du réel, science pure du réel social, n’est-ce pas la Valeur ? Au nom de quoi un militant décide-t-il… de militer ? La pratique politique, s’arrachant justement à toute morale et à toute psychologie, n’a-t-elle pas une origine… psychologique et morale ? (III 193) Dans le lexique d’un auteur, ne faut-il pas qu’il y ait toujours un mot-mana, un mot dont la signification ardente, multiforme, insaisissable et comme sacrée, donne l’illusion que par ce mot on peut répondre à tout ? Comment le mot devient t-il valeur ? (III 194) Qui ne sent combien il est naturel, en France, d’être catholique, marié et bien diplômé ? (III 195) Michelet lui a donné l’exemple : quel rapport entre le discours anatomique et la fleur de camélia ? N’y a-t-il pas ne sorte de volupté à faire passer, comme un rêve odorant, dans une analyse de la socio-logique (1962), «la cerise sauvage, la cannelle, la vanille et le Xérès, le thé du Canada, la lavande, la banane» ; à se reposer de la lourdeur d’une démonstration sémantique par la vision des «ailes, queues, cimiers, panaches, cheveux, écharpes, fumées, ballons, traînes, ceintures et voiles dont Erté forme les lettres de son alphabet - ou encore, à insérer dans une revue de sociologie «les pantalons de brocart, les manteaux-tentures, les longues chemises de nuit blanches» dont se vêtent les Hippies ? Ne suffit-il pas de faire passer dans le discours critique un «rond bleuâtre de fumée» pour vous donner le courage, tout simplement… de le recopier ? (III 198) Comment écrire, à travers tous les pièges que me tend l’image collective de l’œuvre ? (III 199) Doit-il décrire sa situation dans un bar de Tanger ? (III 200) Les sciences humaines ne sont-elles pas étymologiques, recherchant l’étymon (origine et vérité) de tout fait ? (III 201) Pourquoi poser au rat des questions d’homme, puisque son «répertoire» est celui d’un rat ? Pourquoi poser à un peintre d’avant-garde des questions de professeur ? (III 202) En somme toutes les couleurs de la Nature ne viennent-elles pas des peintres ? (III 204) Bataille, en somme, me touche peu : qu’ai-je à faire avec le rire, la dévotion, la poésie, la violence ? Qu’ai-je à dire du sacré, de l’«impossible» ? (III 205) Il se souvient à peu près de l’ordre dans lequel il a écrit ces fragments ; mais d’où venait cet ordre ? Au fur et à mesure de quel classement, de quelle suite ? Chaque texte ne peut-il se définir par le nombre des objets disparates (de savoir, de sensualité) qu’il met en scène à l’aide de simples figures de contiguïté (métonymies et asyndètes) ? En ce qui concerne les rites, est-ce si désagréable d’être prêtre ? Quant à la foi, quel sujet humain peut prédire qu’il ne sera pas un jour conforme à son économie de croire - en ceci ou en cela ? C’est pour le langage que ça n’irait pas : le langage-prêtre ? (III 208) Qu’est-ce qui limite la représentation ? Ce qui pèse dans le panier (dans une scène de théâtre), ce n’est pas le linge, c’est le temps, c’est l’histoire, et ce poids-là, comment le représenter ? J’imagine une fiction : celle d’un sujet intellectuel qui déciderait de devenir marxiste et qui aurait à choisir son marxisme : lequel ? de quelle dominance, de quelle marque ? Lénine, Trotski, Luxembourg, Bakounine, Mao, Bordiga, etc. ? (III 213) Le sens ne s’impose-t-il pas de nature à l’acte ? Combien de scènes conjugales ne se rangent-elles pas sous le modèle d’un grand tableau de peinture : La Femme chassée, ou encore La Répudiation ? Comment oublier, portant, que la sémiologie a quelque rapport avec la passion de sens : son apocalypse et/ou son utopie ? (III 217) Que faire si le stéréotype passait à gauche ? Comment saurais-je que le livre est fini ? (III 220) Fin heureuse de la sexualité ? Les Chinois : tous le monde demande (et moi tout le premier) : mais où donc est leur sexualité ? Le matérialisme ne passerait-il pas par une certaine distance sexuelle, la chute mate de la sexualité hors du discours, hors de la science ? (III 221) Je ménage dans mon discours des fuites d’interlocution (ne serait-ce pas, finalement, toujours ce qui se passe lorsque nous utilisons le shifter par excellence, le pronom «je»?). Imagine-t-on la liberté et si l’on peut dire la fluidité amoureuse d’une collectivité qui ne parlerait que par prénoms et par shifters, chacun ne disant jamais que je, demain, là-bas, sans se référer à quoi que se soit de légal, et où le flou de la différence (seule manière d’en respecter la subtilité, la répercussion infinie) serait la valeur la plus précieuse de la langue ? Comment l’édifier (une linguistique de la valeur) en restant soi-même en dehors de la valeur, comment l’édifier «scientifiquement», «linguistiquement» ? (III 222) Pourquoi ne parlerais-je pas de «moi», puisque «moi» n’est plus «soi» ? (III 223) L’esthétique étant l’art de voir les formes se détacher des causes et des buts et constituer un système suffisant de valeurs, quoi de plus contraire à la politique ? (III 224) Mais lui-même ? N’entendait-il jamais sa propre surdité ? De là à se confier à l’écriture : n’est-elle pas ce langage qui a renoncé à produire la dernière réplique, vit et respire de s’en remettre à l’autre pour que lui vous entende ? Cette double amputation ne fait-elle pas de la musique ainsi manipulée un discours oppressif ? (III 226) Comment dois-je faire pour que chacun de ces fragments ne soit jamais qu’un symptôme ? Le propre du réel ne serait-il pas d’être immaîtrisable ? Et le propre du système ne serait-il pas de le maîtriser ? Que peut donc faire, face au réel, celui qui refuse la maîtrise ? (III 226) Combien de temps perdu à faire des programmes ? (III 228) Il avait le regret de ne pouvoir embrasser à la fois toutes les avant-gardes, atteindre toutes les marges, d’être limité, en retrait, trop sage, etc. ; et son regret ne pouvait s’éclairer d’aucune analyse sûre : à quoi résistait-il au juste ? Qu’est-ce qu’il refusait (ou plus superficiellement encore : qu’est-ce qu’il boudait) ici ou là ? Un style ? Une arrogance ? Une violence ? Une imbécillité ? (III 229) La Totalité tout à la fois fait rire et fait peur : comme la violence, ne serait-elle pas toujours grotesque (et récupérable alors seulement dans une esthétique de Carnaval) ? Ce serait donc cela, la Nature, Une absence… du reste ? La Totalité ? (III 232)
Textes
Comment pourrait-il accepter de donner un sens à un livre qui est tout entier refus du sens, qui semble n’avoir été écrit que pour refuser le sens ? Qu’est-ce que le sens d’un livre ? (III 253) L’Idéologique, c’est quoi ? Et l’Imaginaire ? Quoi, pas de vérité ? (III 254) N’y a-t-il pas des musiques hypnotiques ? Comment y entre-t-on (au cinéma) ? (III 256) Que veut dire le «noir» du cinéma (je ne puis jamais, parlant cinéma, m’empêcher de penser «salle», plus que «film») ? Dans ce cube opaque, une lumière : le film, l’écran ? (III 257) L’image filmique (y compris le son) c’est quoi ? Au fond, l’image n’a-t-elle pas, statutairement, tous les caractères de l’idéologique ? Le stéréotype n’est-il pas une image fixe, une citation à laquelle notre langage colle ? N’avons-nous pas au lieu commun un rapport duel : narcissique et maternel ? (III 258) Comment se décoller du miroir ? Par quelque recours au regard (ou à l’écoute) critique du spectateur ; n’est-ce pas cela dont il s’agit dans l’effet brechtien de distanciation ? Y aurait-il, au cinéma même (et en prenant le mot dans son profil étymologique), une jouissance possible de la discrétion ? (III 259) Qu’est-ce donc que cet éloignement, cette discontinuité qui provoque la secousse brechtienne ? Savez-vous ce qu’est une épingle japonaise ? Structuralement, qu’est-ce qu’une secousse ? Comment un discours subvertirait-il ces rapports ? (III 261) Sous l’alibi de l’under-ground, c’est toujours la drogue «en soi» qui est représentée, ses effets, ses méfaits, ses extases, son style, bref ses «attributs», non ses fonctions : permet-elle de lire d’une façon critique quelque configuration prétendument «naturelle» des rapports humains ? Où est la secousse de lecture ? (III 262) En effet d’où viendrait la critique du discours bourgeois, sinon de ce discours lui-même ? (III 263) Comment lutter contre la métonymie ? Comment, au niveau du discours, ramener la somme à ses parties, comment défaire le Nom abusif ? (III 264) Le cigare est un emblème capitaliste, soit ; mais s’il fait plaisir ? Doit-on ne plus le fumer, entrer dans la métonymie de la Faute sociale, refuser de se compromettre dans le Signe ? (III 267) Baudelaire ne faisait-il pas du H la source d’une précision inouïe ? Metz, dont le travail vient de si explicitement de la linguistique, ne nous dit-il pas, à sa manière, que l’erreur de cette science est de nous faire croire que les messages «s’échangent» - toujours l’idéologie de l’Echange- alors que le réel de la parole est précisément de se donner ou de se reprendre, bref de demander ? (III 268) Et si on y allait voir ? Si, tout d’un coup, l’on saisissait la métaphore - dérisoire à force d’être répétée - dans la lumière implacable de la Lettre ? (III 269) L’art ne commence-t-il pas quand on rend les objets intelligents ? (III 272) Qu’importait au fond que Berthe, Régina ou Hector (des personnages d’André Téchiné) dégénèrent corporellement, sous prétexte que la chronologie nous oblige à passer du Front Populaire à la Résistance ? Qu’avons-nous besoin de détruire des langages ? Et la légèreté, cette légèreté-là faite de vigilance et d’allégresse, c’est finalement quoi ? (III 273) Et la langue, elle, peut-elle bruire ? Quelle utopie ? (III 275) Suffit-il de parler tous ensemble pour faire bruire la langue, de la manière rare, empreinte de la jouissance, qu’on vient de dire ? (III 276) N’est-ce pas que Gérard Miller est tout simplement un historien ? (III 277) Ce qui démystifie la chèvre bucolique, n’est-ce pas le chapelet de «crottes de bique» qu’elle égrène en marchant et en mangeant ? Comment le savant aujourd’hui, doit-il parler ? comment peut-il parler ? (III 278) Ces deux puissances (le langage et le gastronomique) n’ont-elles pas le même organe ? Et puis largement le même appareil, producteur ou appréciateur : les joues, le palais, les fosses nasales, dont Brillat-Savarin rappelle le rôle gustatif et qui font le beau chant ? (III 285) N’a-t-il pas cette invention étonnante de classer les mouvements de la langue, lorsqu’elle participe à la manducation, à l’aide de mots étrangement savants ? Double jouissance ? Et la Mort ? Comment vient-elle dans le discours d’un auteur que son sujet et son style désignent comme le modèle même du «bon vivant» ? (III 286) Comment pourrait-il défendre en même temps le naturel rural (lait et fruits) et l’art culinaire qui produit les cailles truffées à la moelle et les pyramides de meringue à la vanille et à la rose ? Quelle idée Brillat-Savarin a-t-il du régime d’amaigrissement ? (III 287) Qu’est-ce que représenter, figurer, projeter, dire ? Qu’est-ce que désirer ? Qu’est-ce que désirer et parler tout en même temps ? Lorsque j’ai l’appétit d’une nourriture, est-ce que je ne m’imagine pas la mangeant ? Est-ce que, dans cette imagination prédictive, il n’y a pas tout le souvenir de nos plaisirs antérieurs ? (III 290) Certes, Werther ne dédaignait pas de se faire cuire des petits pois au beurre, dans sa retraite de Walheim ; mais le voit-on s’intéresser aux vertus aphrodisiaques de la truffe et aux éclairs de désir qui traversent le visage des belles gourmandes ? 1825, l’année de Brillat-Savarin, n’est-elle pas aussi l’année où Schubert compose son quatuor de La Jeune Fille et la mort ? (III 294) Mais le corps connaît-il des contraires ? (III 296) Qu’est-ce que le corps fait, lorsqu’il énonce (musicalement) ? (III 299) Comment dirais-je mon corps autrement qu’en images ? Cela s’inscrit en moi, mais je ne sais où : dans quelle région du corps et du langage ? (III 300) Est-ce que nous décourageons la lecture ? Est-ce qu’au contraire nous l’amoralisons ? (III 310) Est-ce que (la politique) est vraiment une activité, est-ce qu’elle n’est pas seulement un discours ? (III 325) Qui sait comment il faut lire Sade ? (III 328) Pourquoi est-ce qu’on ne dirait pas soi-même ce qu’on pense de ses propres livres ? (III 331) Ce roman (Roland Barthes par Roland Barthes) est-il «vrai» ? Ce que je dis là, est-ce vraiment ce que je pense ? Quel est ce «je» qui pense cela ? Une image ? (III 335) En fait, comment mettre de l’affect et du délicat, au sens où Sade l’entend ? (III 338) Est-il alors encore possible d’apprendre à lire ? Quel est le rôle spécifique de l’école ? (III 342) Comment pénètre-t-on le public ? (III 346) D’ailleurs, qui aurais-je montré ? C’est toujours le même problème : où est-ce que je suis, moi, je ? (III 352) Qu’est-ce que l’on fait avec cette langue presque morte, très singulière qu’est le français écrit ? (III 368) Que vais-je décider d’être ou de paraître ? Sérieux («Je vais lire Marx, Freud, Nietzsche») ? Affairé («Tout ce que je n’au pu lire dans l’année») ? Paradoxal («Rien du tout») ? Ecrivain en vacances («Des romans policiers») ? Subtilement kitsch («Madame de Sévigné») ? Comment échapper à ces images ? (III 370)

1969

Tuesday, February 20th, 2007

Textes
La peinture est-elle un langage ? Quel est le rapport du tableau et du langage dont fatalement on se sert pour le lire - c’est-à-dire pour (implicitement) l’écrire ? Ce rapport n’est-il pas le tableau lui-même ? (II 539) Peut-on concevoir une critique politique de la culture, une critique active et non plus seulement analytique, intellectuelle, qui s’établirait bien au-delà du dressage idéologique des communications de masse, dans des lieux mêmes, subtils, diffus, du dressage consommationnel, là précisément où le hippy exerce sa clairvoyance (incomplète) ? Peut-on imaginer un art de vivre, sinon révolutionnaire, du moins dégagé ? (II 546)

1968

Tuesday, February 20th, 2007

Textes
(Dans la nouvelle Sarrasine de Balzac) Qui parle ainsi ? Est-ce le héros de la nouvelle intéressé à ignorer le castrat qui se cache sous la femme ? Est-ce l’individu Balzac, pourvu par son expérience personnelle d’une philosophie de la femme ? Est-ce l’auteur Balzac, professant des idées «littéraires» sur la féminité ? Est-ce la sagesse universelle ? La psychologie romantique ? (II 491) Comment un événement peut-il être écrit ? Qu’est que cela peut vouloir dire que «l’écriture de l’événement» ? (II 496) N’est-il pas naturel que la science du langage (et des langages) s’intéresse à ce qui est incontestablement langage, à savoir le texte littéraire ? N’est-il pas naturel que la littérature, technique de certaines formes de langage, se tourne vers la théorie du langage ? N’est-il pas naturel qu’au moment où le langage devient une préoccupation majeure des sciences humaines, de la réflexion philosophique et de l’expérience créative, la linguistique éclaire la science de la littérature, comme elle éclaire l’ethnologie, la psychanalyse, la sociologie des cultures ? Comment la littérature pourrait-elle rester à l’écart de ce rayonnement dont la linguistique est le centre ? N’aurait-elle pas dû, même, être la première à s’ouvrir à la linguistique ? (II 501) Puisqu’il y a des universaux du langage, pourquoi n’y aurait-il pas des universaux du poème, du récit ? (II 505) Peut-on faire une écriture avec du mobile - je ne dis pas avec du mouvement, mais avec du mobile ? Peut-on d’ailleurs dire que le cinéma occidental à intégré la culture occidentale ? (II 532)

1967

Tuesday, February 20th, 2007

Système de la Mode
Y a-t-il un seul système d’objets, un peu ample, qui puisse se dispenser du langage articulé ? La parole n’est-elle pas le relais fatal de tout ordre signifiant ? Si l’on pousse au-delà de quelques signes rudimentaires (excentricité, classicisme, dandysme, sport, cérémonie), le vêtement,pour signifier, puit-il se passer d’une parole qui le décrive, le commente, lui fasse don de signifiants et de signifiés assez abondants pour constituer un véritable système de sens ? (II 132) Pourquoi la mode parle-t-elle si abondamment le vêtement ? Pourquoi interpose-t-elle entre l’objet et son usager un tel luxe de paroles (sans compter les images), un tel réseau de sens ? (II 133) Est-ce à dire que chacune de ces structures se confond entièrement avec le système général dont elle est issue, le vêtement-image avec la photographie, et le vêtement écrit avec le langage ? (II 137) Qu’est-ce qui se passe lorsqu’un objet, réel ou imaginaire, est converti en langage ? ou, lorsqu’il y a rencontre d’un objet et d’un langage ? n’est-elle pas (la littérature) l’institution même qui semble convertir le réel en langage et place son être dans cette conversion, tout comme notre vêtement écrit ? S’ailleurs, la Mode écrite n’est-elle pas une littérature ? Quelles sont donc, singulièrement dans le vêtement écrit, les fonctions spécifiques du langage par rapport à l’image ? (II 145) Que devient chacun de ces systèmes dans l’énoncés de l’ensemble B, c’est-à-dire lorsque le vêtement écrit est directement le signifiant du signifié implicite Mode ? (II 166) Du point de vue du système (et par conséquent), si paradoxal que cela paraisse, du point de vue de la Mode, qu’importe la toile ? (II 208) Quel peut être le genre qui «coiffe» des pièces comme la blouse, le caraco, la brassière, le jumper, dont la variation est pourtant pertinente ? (II 210) Les genres une fois déterminés formellement, peut-on leur assigner un certain contenu ? (II 210) Peut-on soumettre les soixante genres repérés et retenus à un classement méthodique ? En d’autres termes, est-il possible de dériver tous ces genres d’une division progressive du vêtement total ? (II 218) Comment découper ce qui serait chaque fois unique ou identique ? (II 291) De quel ordre est l’imaginaire décrit par le journal de Mode ? (II 325) Quel est le «sujet» de ce roman, ou, en d’autre termes, quel est le signifié de la rhétorique de Mode, lorsqu’elle parle du «monde» ? (II 334) Mais quel corps le vêtement de Mode doit-il signifier ? (II 343) Est-ce à dire que l’histoire n’a aucune prise sur le procès de Mode ? (II 374) Comment s’opère la conversion du réel en mythe ? (II 376) A quoi servent ces protocoles (poétique, romantique ou «farfelu») ? (II 379)
Textes
Qui a jamais assisté aux Troyens de Berlioz, alors que la musique en passe très souvent sur les ondes ? Un récent concours-référendum, organisé par la Radiodiffusion française parmi ses auditeurs, n’a-t-il pas consacré comme chef-d’œuvre de tous les chefs-d’œuvre de la musique universelle, une œuvre lyrique ? (II 405) Pourquoi ne pas faire profiter le spectacle lyrique de cet assouplissement général ? Dans Carmen, que nous importe l’anecdote (nous la connaissons par cœur) ? (II 406) L’enthymème dispose dans le discours historique un intelligible non symbolique, et c’est en cela qu’il est intéressant : subsiste-t-il dans des histoires récentes, dont le discours essaie de rompre avec le modèle classique, aristotélicien ? (II 423) Comment ne mettrait-il pas (le structuralisme) en cause le langage même qui lui sert à connaître le langage ? (II 431) A quelles conditions ou plutôt avec quelles précautions et quels préliminaires une sémiologie urbaine serait-t-elle possible ? (II 439) La littérature contemporaine se désintéresse-t-elle vraiment du récit ? (II 459) A-t-on droit de constituer la nourriture par exemple en système de signes ? (II 463)

1966

Tuesday, February 20th, 2007

Critique et vérité
Pourquoi aujourd’hui (les accusations d’imposture critique) ? S’agit-il d’une réaction insignifiante ? de retour offensif d’un certain obscurantisme ? ou, au contraire, de la première résistance à des formes neuves de discours, qui se préparent et ont été pressenties ? (II 17) Sous le Second Empire, la nouvelle critique aurait eu son procès : ne blesse-t-elle pas la raison, en contrevenant aux «règles élémentaires de la pensée scientifique ou même simplement articulée» ? Ne choque-t-elle pas la morale, faisant intervenir partout «une sexualité obsédante, débridée, cynique» ? Ne discrédite-t-elle pas nos institutions nationales aux yeux de l’étranger ? En un mot, n’est-elle pas «dangereuse» ? (II 18) Mais pourquoi, aujourd’hui, la critique ? (II 19) Quelles sont donc les règles du vraisemblable critique en 1965 ? (II 20) Qu’est-ce donc que l’objectivité en matière de critique littéraire ? Quelle est la qualité de l’œuvre qui «existe en dehors de nous» ? (II 21) A quel instrument de vérification, à quel dictionnaire allez-vous soumettre ce second langage, profond, vaste, symbolique, dont est faite l’œuvre, et qui est précisément le langage des sens multiples ? Selon quelle clef allez-vous la lire ? (II 21) De quel structuralisme s’agit-il ? Comment retrouver la structure, sans le secours d’un modèle méthodologique ? Passe encore pour la tragédie, dont le canon est connu grâce aux théoriciens classiques ; mais quelle sera donc la «structure» du roman, qu’il faudra opposer aux «extravagances» de la nouvelle critique ? (II 22) Comment désigner cet ensemble d’interdits qui relève indifféremment de la morale et de l’esthétique et dans lequel la critique classique investit toutes les valeurs qu’elle ne peut rapporter à la science ? De quoi le goût défend-il de parler des objets ? (II 24) «Pourquoi ne pas dire les choses plus simplement ?», combien de fois n’avons-nous pas entendu cette phrase ? Mais combien de fois aussi ne serions-nous en droit de la renvoyer ? Sans parler du caractère sainement et joyeusement ésotérique de certains langages populaires, l’ancienne critique est-elle sûre de n’avoir pas elle aussi son galimatias ? Que penser de cette plume de l’écrivain, que l’on chauffe, qui tantôt pique agréablement et tantôt assassine ? (II 28) Suis-je donc avant mon langage ? Comment puis-je vivre mon langage comme un simple attribut de ma personne ? Comment croire que si je parle, c’est parce que je suis ? (II 29) Croit-on que Racine nous concerne «de soi», dans la lettre du texte ? Sérieusement, que peut nous faire un théâtre «violent mais pudique» ? Qu’est-ce que cela peut vouloir dire aujourd’hui qu’un «prince fier et généreux» ? Au reste, que faisaient donc Gisèle et Andrée (chez Proust), sinon de l’ancienne critique, lorsqu’à propos du même Racine, elles parlaient du «genre tragique», de «l’intrigue» (nous retrouvons ici les «lois du genre»), des «caractères bien charpentés» (voilà «la cohérence des implications psychologiques»), notant qu’Athalie n’est pas une «tragédie amoureuse» (de la même façon, on nous rappelle qu’Andromaque n’est pas un drame patriotique), etc. ? (II 31) Pourquoi une voix analogue (à la philosophie) ne s’élève-t-elle pas pour assurer à la littérature le même droit (de refaire son histoire) ? La lettre exclut-elle le symbole ou bien au contraire le permet-elle ? L’œuvre signifie-t-elle littéralement ou bien symboliquement - ou encore, selon le mot de Rimbaud, «littéralement et dans tous les sens» ? (II 32) Reprocheriez-vous à un Chinois (puisque la nouvelle critique vous paraît une langue étrange) de faire des fautes de français, lorsqu’il parle chinois ? Mais pourquoi, après tout, cette surdité aux symboles, cette asymbolie ? Qu’est-ce donc qui menace, dans le symbole ? Fondement du livre, pourquoi le sens multiple met-il en danger la parole autour du livre ? Et pourquoi, encore une fois, aujourd’hui ? (II 33) Que nous importe s’il est plus glorieux d’être romancier, poète, essayiste ou chroniqueur ? (II 35) Quels sont les rapports de l’œuvre et du langage ? Si l’œuvre est symbolique, à quelles règles de lecture est-on tenu ? Peut-il y avoir une science des symboles écrits ? Le langage du critique peut-il être lui-même symbolique ? (II 37) Tout lecteur sait cela, s’il veut bien ne pas se laisser intimider par les censures de la lettre : ne sent-il pas qu’il reprend contact avec un certain au-delà du texte, comme si le langage premier de l’œuvre développait en lui d’autres mots et lui apprenait à parler une seconde langue ? (II 38) Et pourtant : comment la science pourrait-elle parler d’un auteur ? (II 41) Taine n’aurait-il paru «délirant» à Boileau, Georges Blin à Brunetière ? A partir de combien de tragédies aurais-je le droit de «généraliser» une situation racinienne ? Cinq, six, dix ? Dois-je dépasser la «moyenne» pour que le trait soit notable et que le sens surgisse ? Que ferai-je des termes rares ? M’en débarrasser sous le nom pudique d’ «exceptions», d’ «écarts» ? (II 45) Quel est ce sens ? Est-ce celui de la «subjectivité», dont on fait au nouveau critique une casse-tête ? (II 46) Quel rapport un critique peut-il avoir avec le langage ? (II 47) Racine n’a-t-il pas quelque dette envers Georges Poulet, Verlaine envers Jean-Pierre Richard ? (II 50) Comment la critique pourrait-elle être interrogative, optative ou dubitative, sans mauvaise foi, puisqu’elle est écriture et qu’écrire, c’est précisément rencontrer le risque apophantique, l’alternative inéluctable du vrai/faux ? Combien d’écrivains n’ont écrit que pour avoir lu ? Combien de critiques n’ont lu que pour écrire ? (II 51)
Textes
Comment les hommes fabriquent-ils du sens ? Comment le sens vient-il aux hommes ? (II 55) Quel sont les rapports vécus entre le journal et l’âge (l’adolescence, notamment) ? La solitude ? le bonheur ? le corps ? la mémoire ? le sentiment de culpabilité ? la folie ? Quelles sont les fonctions du journal à l’égard de celui qui écrit (thérapeutique, éthique, esthétique, religieuse) ? (II 57) Y a-t-il finalement un «secret» de l’individu ? La question n’est pas : qu’est-ce que l’auteur nous cache ? mais : pourquoi écrit-il ? Combien de textes actuels qui ne se rangent sous aucun genre défini ? (II 58) Pourquoi pouvons-nous lire la vie de Proust avec l’espèce d’avidité que nous mettons à «dévorer» une histoire ? D’où vient l’énigme de ces deux vies parallèles ? (II 60) Qui ne rencontre encore aujourd’hui, en 1966, autour de lui, M. de Norpois discourant sur la littérature ou Octave-dans-les-choux, jeune homme inculte mais compétent en bars, sports et vêtements ? (II 61) Mais comment les hommes donnent-ils du sens aux choses qui ne sont pas des sons ? (II 65) Quand cette sorte de sémantisation de l’objet se produit-elle ? Quand la signification de l’objet commence-t-elle ? (II 67) Cette symbolique a été, en général, très bien étudiée pour les sociétés passées, à travers les œuvres d’art qui la mettent en œuvre, mais est-ce que nous l’étudions vraiment, ou est-ce que nous nous disposons à l’étudier dans notre société actuelle ? Il y aurait à se demander ce qui reste de ces grands symboles dans une société technicienne comme la nôtre ; est-ce que ces grands symboles ont disparu, est-ce qu’ils se sont transformés, est-ce qu’ils sont cachés ? (II 69) Quel sont les signifiés de ces systèmes d’objets, quelles sont les informations transmises par les objets ? Est-ce qu’il y a des objets hors du sens, c’est-à-dire des cas limites ? (II 71) Une telle universalité du récit doit-elle faire conclure à son insignifiance ? Est-il si général que nous n’avons rien à dire, sinon à décrire modestement quelques-unes de ses variétés, fort particulières, comme le fait parfois l’histoire littéraire ? Mais ces variétés même, comment les maîtriser, comment fonder notre droit à les distinguer, à les reconnaître ? Comment opposer le roman à la nouvelle, le conte au mythe, le drame à la tragédie (on l’a fait mille fois) sans se référer à un modèle commun ? Il est normal que cette forme le structuralisme naissant en fasse l’une de ses premières préoccupations : ne s’agit-il pas toujours pour lui de maîtriser l’infini des paroles, en parvenant à décrire la «langue» dont elles sont issues et à partir de laquelle on peut les engendrer ? (II 74) Où donc chercher la structure du récit ? Tous les récits ? Que dire alors de l’analyse narrative, placée devant des millions de récits ? (II 75) Le langage ne cesse d’accompagner le discours en lui tendant le miroir de sa propre structure : la littérature, singulièrement aujourd’hui, ne fait-elle pas un langage des conditions mêmes du langage ? (II 78) Tout, dans un récit, est-il fonctionnel ? Tout, jusqu’au plus petit détail, a-t-il un sens ? Le récit peut-il être intégralement découpé en unités fonctionnelles ? (II 80) Comment, selon quelle «grammaire», ces différentes unités s’enchaînent-elles les unes aux autres le long du syntagme narratif ? Quelles sont les règles de la combinatoire fonctionnelle ? Y a-t-il derrière le temps du récit une logique intemporelle ? (II 86) Quelle est donc cette logique qui contraint les principales fonctions du récit ? (II 87) Qui est le sujet (le héros) d’un récit ? Y a-t-il - ou n’y a-t-il pas - une classe privilégiée d’acteurs ? (II 93) Qui est le donateur du récit ? (II 94)

1965

Tuesday, February 20th, 2007

Eléments de sémiologie
Faut-il admettre que, contrairement à l’affirmation de Saussure («dans la langue il n’y a que les différences»), ce qui n’est pas différenciatif puisse tout de même appartenir à la langue (à l’institution) ? (I 1475) Comment classer les signifiés ? (I 1489) Le syntagme, sous sa forme de parole, se présente comme un «texte sans fin» : comment repérer dans ce texte sans fin les unités signifiantes, c’est-à-dire les limites des signes qui le constituent ? (I 1502) Si donc la langue est purement différentielle, comment peut-elle comporter des éléments non différents, positifs ? (I 1507) C’est la phonologie qui a appelé l’attention sur le binarisme du langage (il est vrai au niveau seulement de la seconde articulation) ; ce binarisme est-il absolu ? (I 1512) Comment choisir le corpus sur lequel on va travailler ? (I 1521)
Textes
J’ai toujours beaucoup aimé le théâtre et pourtant je n’y vais presque plus. (…) Que s’est-il passé ? Quand cela s’est-il passé ? Est-ce moi qui ai changé ? ou le théâtre ? Est-ce que je ne l’aime plus, ou est-ce que je l’aime trop ? (I 1530) Qu’est-ce que la vulgarité ? (I 1531) Quels sont les signifiants de connotation ? leur étendu ? leur système ? Sont-ils discontinus ? A quels signifiés renvoient-ils ? Comment s’organisent ces signifiés entre eux (c’est-à-dire quelle est leur «forme») ? (I 1533) La tragédie a-t-elle la charge, en somme utilitaire, de «purger» toutes les passions de l’homme, en suscitant en lui crainte et pitié, ou bien seulement de le délivrer de cette crainte et pitié ? S’agit-il de «déraciner» la passion (selon la belle expression de Corneille) ou, plus modestement, de l’épurer, de la sublimer, en lui ôtant seulement tout excès déraisonnable (Racine) ? (I 1546) Comment le spectacle s’insère-t-il dans cette société (athénienne) ? (I 1547) Du point de vue de la société, quelle est la fonction de l’agôn ? La compétition permet de garder la question des anciens duels (qui est le meilleur ?), mais en lui donnant un sens nouveau : qui est le meilleur par rapport aux choses, qui est le meilleur pour maîtriser, non point l’homme, mais la nature ? (I 1548) A quoi servaient les masques ? (I 1553)

1964

Tuesday, February 20th, 2007

Essais critiques
Huîtres, pulpes de citrons, verres épais contenant un vin sombre, longues pipes en terre blanche, marrons brillants, fa_ences, coupes en métal bruni, trois grains de raisin, quelle peut être la justification d’un tel assemblage, sinon de lubrifier le regard de l’homme au milieu de son domaine, et de faire glisser sa course quotidienne le long d’objets dont l’énigme est dissoute et qui ne sont plus rien que des surfaces faciles ? Qu’ai-je besoin de la forme principielle du citron ? (I 1178) N’est-ce pas exactement l’univers du tableau hollandais ? (I 1180) Qu’ont-ils (les visages hollandais) à faire du temps des passions ? Qu’est-ce donc qui signale ces hommes au sommet de leur empire ? (I 1182) Par quoi donc impose-t-elle son irréalité ? A-t-on pensé à ce qui arrive quand un portrait vous regarde en face ? (I 1183) Que se passe-t-il quand les hommes sont heureux tout seuls ? Que reste-t-il alors de l’homme ? (I 1184) Qu’est-ce que la théâtralité ? (I 1194) Faut-il jouer le théâtre antique comme de son temps ou comme du nôtre ? faut-il reconstituer ou transporter ? faire ressentir des ressemblances ou des différences ? Cela nous concerne-t-il ? Comment ? En quoi ? (I 1218) Qu’était exactement L’Orestie pour les contemporains d’Eschyle ? Qu’avons-nous à faire, nous, hommes du XXe siècle, avec le sens antique de l’œuvre ? (I 1222) N’est-ce pas elle (la bourgeoisie), en fin de compte, qui dispense à l’art d’avant-garde le soutien parcimonieux de son public, c’est-à-dire de son argent ? (I 1224) Le théâtre brechtien est un théâtre moral, c’est-à-dire un théâtre qui se demande avec le spectateur : qu’est-ce qu’il faut faire dans telle situation ? Ceci amènerait à recenser et à décrire les situations archétypiques du théâtre brechtien ; elles se ramènent, je pense, à un problème unique : comment être bon dans une société mauvaise ? (I 1230) Qu’avons-nous de commun, aujourd’hui, avec Voltaire ? (I 1235) Que peut donc l’homme sur le Bien et le Mal ? (I 1237) Que se passe-t-il au XVIe siècle (moment d’autant plus significatif que c’est à Michelet que nous devons la notion même de Renaissance) ? (I 1251) Michelet ne dit-il pas quelque part cette chose surprenante, qu’on faisait périr les sorcières à cause de leur beauté ? (I 1258) Comment, du sein même de la littérature, c’est-à-dire d’un ordre d’action privé de toute sanction pratique, comment décrire le fait politique sans mauvaise foi ? Comment produire une littérature «engagée» (un mot démodé mais dont on ne peut se débarrasser si facilement) sans recourir, si je puis dire, au dieu de l’engagement ? Bref, comment vivre l’engagement, ne serait-ce qu’à l’état de lucidité, autrement que comme une évidence ou un devoir ? (I 1267) Notre littérature serait-elle donc toujours condamnée à ce va-et-vient épuisant entre le réalisme politique et l’art-pour-l’art, entre une morale de l’engagement et un purisme esthétique, entre la compromission et l’asepsie ? Ne peut-elle jamais être pauvre (si elle n’est qu’elle-même) ou confuse (si elle est autre chose qu’elle-même) ? Ne peut-elle donc tenir une place juste dans ce monde-ci ? Est-ce Kafka qui nous répond ? S’agit-il de décrire la terreur bureaucratique du moment moderne ? S’agit-il d’exposer les revendications de l’individualisme face à l’envahissement des objets ? (I 1270) Comme le dit très bien Marthe Robert, la solitude, le dépaysement, la quête, la familiarité de l’absurde, bref les constantes de ce qu’on appelle l’univers kafkaïen, cela n’appartient-il pas à tous nos écrivains, dès lors qu’ils refusent d’écrire au service du monde de l’avoir ? (I 1271) L’allusion renvoie l’événement romanesque à autre chose que lui-même, mais à quoi ? (I 1272) Qui parle ? Qui écrit ? (I 1277) Quel écrivain supporterait que l’on psychanalyse son écriture ? (I 1280) En somme, la mode écrite n’est qu’une littérature particulière, exemplaire cependant, puisqu’en décrivant un vêtement, elle lui confère un sens (de mode) qui n’est pas le sens littéral de la phrase : n’est-ce pas la définition même de la littérature ? (I 1284) Que dire à une conscience malheureuse et qui a, historiquement, raison de l’être ? (I 1285) Peut-on faire une revue avec de l’indirect ? Alors, que faire ? (I 1287) Pourquoi la revue ne s’engagerait-elle pas, puisque rien ne l’en empêche ? (I 1288) Cependant, qu’est-ce que le réel ? (I 1289) Je suis dans ma chambre, je vois ma chambre ; mais déjà, est-ce que voir ma chambre, ce n’est pas me la parler ? Et même s’il n’en est pas ainsi, de ce que je vois, qu’est-ce que je vais dire ? Un lit ? Une fenêtre ? Une couleur ? (I 1290) La littérature n’est-elle pas ce langage particulier qui fait du «sujet», le signe de l’histoire ? (I 1291) Peut-on imaginer qu’il y ait derrière toutes ces formes variées de la conscience démentielle, un signifié stable, unique, intemporel, et pour tout dire, «naturel» ? (I 1295) Y a-t-il forme plus pure qu’une classification ? (I 1302) Tout récit mythique, selon l’hypothèse de Claude Lévi-Strauss, n’est-il pas produit par une mobilisation d’unités récurrentes, de séries autonomes (diraient les musiciens), dont les déplacement, infiniment possibles, assurent à l’œuvre la responsabilité de son choix, c’est-à-dire sa singularité, c’est-à-dire son sens ? (I 1307) Quels sont donc ces troubles de la causalité, sur lesquels s’articule le fait divers ? (I 1311) Le point sur Robbe-Grillet ? On sait que l’œuvre d’Alain Robbe-Grillet traite de ce problème de l’objet littéraire ; les choses sont-elles inductrices de sens, ou bien au contraire sont-elles «mates» ? L’écrivain peut-il et doit-il décrire un objet sans le renvoyer à quelque transcendance humaine ? Signifiants ou insignifiants, quelle est la fonction des objets dans un récit romanesque ? En quoi la façon dont on les décrit modifie-t-elle le sens de l’histoire ? la consistance du personnage ? le rapport même à l’idée de littérature ? (I 1317) Entre les deux Robbe-Grillet, le Robbe-Grillet n° 1, «chosiste», et le Robbe-Grillet n° 2, «humaniste», entre celui de la toute première critique et celui de Bruce Morrissette, faut-il choisir ? Quel est ce sens ? Qu’est-ce que les choses signifient, qu’est-ce que le monde signifie ? Quel dieu, disait Valéry, oserait prendre pour devise : Je déçois ? (I 1321) Qu’est que le structuralisme ? (I 1328) Comment l’homme structural accepterait-il l’accusation d’irréalisme qu’on lui adresse parfois ? Les formes ne sont-elles pas dans le monde, les formes ne sont-elles pas responsables ? Ce qu’il a eu de révolutionnaire dans Brecht, était-ce vraiment le marxisme ? N’était-ce pas plutôt la décision de lier au marxisme, sur le théâtre, la place d’un réflecteur ou l’usure d’un habit ? (I 1333) Comment un objet peut-il avoir une histoire ? Faut-il donner à ce genre de composition (Histoire de l’œil de Bataille) le nom de «poème» ? (I 1348) Quoi de plus «sec» que le soleil ? Tous ces signifiants «en échelle» renvoient-ils à un signifié stable, et d’autant plus secret qu’il serait enseveli sous toute une architecture de masques ? Bref, y a-t-il un fond de la métaphore et, partant, une hiérarchie de ses termes ? (I 1348) Casser un œuf ou crever un œil, ce sont là des informations globales, qui n’ont guère d’effet que par rapport à leur contexte, et non par rapport à leur composants : que faire de l’œuf, sinon le casser, et que faire de l’œil, sinon le crever ? (I 1350) Et pourtant, qu’est-ce que la littérature ? Pourquoi écrit-on ? Racine écrivait-il pour les mêmes raisons que Proust ? (I 1353) Qu’est-ce que la critique ? (I 1357) Comment croire en effet que l’œuvre est un objet extérieur à la psyché et à l’histoire de celui qui l’interroge et vis-à-vis duquel le critique aurait une sorte de droit d’exterritorialité ? Par quel miracle la communication profonde que la plupart des critiques postulent entre l’œuvre et l’auteur qu’ils étudient, cesserait-elle lorsqu’il s’agit de leur propre œuvre et de leur propre temps ? Y aurait-ils des lois de création valables pour l’écrivain mais non pour le critique ? Une activité peut-elle être «vraie» ? (I 1359) Qu’est que le théâtre ? Quels rapports ces signes disposés en contrepoint (c’est-à-dire à la fois épais et étendus, simultanés et successifs), quel rapport ces signes ont-il entre eux ? Ils n’ont pas même signifiants (par définition) ; mais ont-ils toujours même signifié ? Concourent-ils à un sens unique ? Quel est le rapport qui les unit à travers un temps souvent fort long à ce sens final, qui est, si l’on peut dire, un sens rétrospectif, puisqu’il n’est pas dans la dernière réplique et n’est cependant clair que la pièce une fois finie ? D’autres parts, comment est formé le signifiant théâtral ? Quels sont ses modèles ? (I 1362) La littérature possède-t-elle une forme, sinon éternelle, du moins transhistorique ? (I 1367) Comment nier qu’il y a un rapport personnel entre un critique (ou même tel moment de sa vie) et son langage ? Quel intérêt y aurait-il à soumettre Michelet à une critique idéologique, puisque l’idéologie de Michelet est parfaitement claire ? (I 1371)
La Tour Eiffel
Qui peut dire ce que la Tour (Eiffel) sera pour les hommes de demain ? (I 1384) Pourquoi visite-t-on la Tour Eiffel ? (I 1386) Qu’est-ce en effet qu’un panorama ? (I 1387) Comment s’enfermer dans du vide, comment visiter une ligne ? Que se passe-t-il ? Que devient la grande fonction exploratrice du dedans, lorsqu’elle s’applique à se moment vide et sans profondeur, que l’on dirait fait entièrement d’une matière extérieure ? (I 1390)
Textes
Pourquoi ce paradoxe qui fait l’argument intellectuel plus vivant (plus terrible) que l’histoire charnelle ? (I 1405) Que dirait K. (Khrouchtchev) à quelqu’un qui récuserait superbement le sens de la langue russe sous le prétexte qu’il ne la comprend pas ? (I 1408) Une société sans roman ? Quel est l’objet de nos grands romans passés ? (I 1409) Qu’est-ce que l’image, Combien y en a-t-il de sortes ? Comment classer ? Où commence-t-elle ? Où finit-elle ? (I 1410) La représentation analogique (la «copie) peut-elle produire de véritables systèmes de signes et non plus seulement de simples agglutinations de symboles ? Un «code» analogique - et non plus digital - est-il concevable ? Comment le sens vient-il à l’image ? Où le sens finit-il ? Et s’il finit, qu’y a-t-il au-delà ? (I 1417) Le message linguistique se laisse facilement séparer des deux autres messages ; mais ces messages là ayant la même substance (iconique), dans quelle mesure a-t-on le droit de les distinguer ? Le message linguistique est-il constant ? Y a-t-il toujours du texte dans, sous ou alentour l’image ? Quelle est la structure signifiante de l’«illustration» ? (I 1420) L’image double-t-elle certaines informations du texte, par un phénomène de redondance, ou le texte ajoute-t-il une information inédite à l’image ? Quelles sont les fonctions du message linguistique par rapport au message iconique (double) ? (I 1421) Le codage du message dénoté a-t-il des conséquences sur le message connoté ? (I 1424) Comment nommer les signifiés de connotation ? (I 1426) (…) cette réflexion que, pour le moment du moins, nous appelons sémiologie. Science des messages sociaux ? des messages culturels ? des informations secondes ? Saisie de tout ce qui est «théâtre» dans le monde, de la pompe ecclésiastique à la coiffure des Beatles, du pyjama de soirée aux joutes de la politique internationale ? (I 1430) Dans toute l’œuvre de Cayrol quelqu’un vous parle, mais on ne sait jamais qui. S’agit-il de narrateurs particuliers, dont l’individualité est renouvelée roman après roman, et Gaspard diffère-t-il d’Armand comme Fabrice de Julien Sorel ? Est-ce un narrateur unique, dont la voix reprend de livre en livre ? Est-ce Cayrol lui-même, à peine abrité derrière cet autre qui parle ? (I 1432) Quelle parole faire, avec de la fatigue ? (I 1435) Comment se louer d’une contrainte imposée par la nature du langage ? (1443)

1963

Tuesday, February 20th, 2007

Sur Racine
Pourquoi parler de Racine aujourd’hui ? (I 986) Oté le peuple domestique, défini paradoxalement par sa liberté même, que reste-t-il dans le lieu tragique ? une caste glorieuse à proportion de son immobilité. D’où vient-elle ? (I 994) Nous ne savons pas bien ce qui est représenté ici. Est-ce, selon l’hypothèse de Darwin, un très vieux fonds folklorique, un état à peu près a-social de l’humanité ? Est-ce, selon l’hypothèse de Freud, la toute première histoire de la psyché, reproduite dans l’enfance de chacun de nous ? (I 995) N’y a-t-il donc aucun moment où l’Eros racinien est heureux ? (I 1001) Qui est cet autre dont le héros ne peut pas se séparer ? (I 1015) La fuite de l’objet aimé (ou son substitut oral, le silence), par exemple, est terrible, parce qu’elle est une ambiguïté au second degré ; on n’est jamais sûr qu’elle soit fuite : comment le négatif peut-il produire un signe, le néant se signifier ? (I 1026) Voici que dans Andromaque Racine pose une troisième fois la même question : comment passer d’un ordre ancien à un ordre nouveau ? Comment la mort peut-elle accoucher de la vie ? quels sont les droits de l’une sur l’autre ? (I 1037) Comment ne pas voir que dans ce bloc solide, tout occupé d’un grand intérêt matériel, Eriphile (c’est-à-dire le héros tragique) est vraiment l’intruse, que tous sacrifieront (et le public louis-quatorzien avec eux) au succès du clan ? (I 1062) Qu’est-ce donc qui fait la Parole si terrible ? (I 1066) Qui allait au spectacle (racinien) ? La cour, la ville, qu’était-ce exactement ? Et plus encore que la configuration sociale de ce public, c’est la fonction même du théâtre à ses yeux qui nous intéresserait : distraction ? rêve ? identification ? distance ? snobisme ? Quel était le dosage de tous ces éléments ? (I 1092) Ne peut-on aller plus avant, soit dans le détail (par exemple, le «vécu» d’une classe), soit dans la profondeur du système, ses contacts avec l’éducation courante (car le public de Racine n’était pas tout janséniste) ? Bref ne peut-on tenter une histoire, même partielle, de l’enseignement français ? (I 1093) Qu’est-ce que la littérature ? On ne demande rien d’autre qu’une réponse historique : qu’était la littérature (le mot est d’ailleurs anachronique) pour Racine et ses contemporains, quelle fonction exacte lui confiait-on, quelle place dans l’ordre des valeurs, etc. ? Bien plus, que peut être, littéralement, une histoire de la littérature, sinon l’histoire de l’idée même de littérature ? (I 1095) Racine a cessé d’écrire des tragédies après Phèdre. C’est un fait ; mais renvoie-t-il à d’autres faits d’histoire ? Peut-on l’étendre ? C’est une autre logique, ce sont d’autres exigences, une autre responsabilité ; il s’agit d’interpréter le rapport de l’œuvre et d’un individu : comment le faire sans se référer à une psychologie ? Et comment cette psychologie pourrait-elle être autre chose que choisie par le critique ? (I 1096) Qu’est-ce au juste qui signifie ? un mot ? un vers ? un personnage ? une situation ? une tragédie ? le corps entier de l’œuvre ? Qui peut décréter le signifiant, hors d’une voie proprement inductive, c’est-à-dire sans poser d’abord le signifié, avant le signifiant ? Et ceci, qui est plus systématique encore : que faire des parties de l’œuvre dont on ne dit pas qu’elle signifient ? Dès lors que l’on entreprend une critique des significations, comment s’arrêter en chemin ? Faut-il renvoyer tout l’insignifiant à une alchimie mystérieuse de la création, dépensant sur un vers des trésors de rigueur scientifique, puis, pour le reste, s’abandonnant paresseusement à une conception proprement magique de l’œuvre d’art ? Et quelles preuves donner d’une signification ? Le nombre et la convergence des indices factuels (Orcibal) ? La «réussite» d’une expression (Jasinski) ? La cohérence du système signifiant (Goldmann) ? Si l’œuvre signifie le monde, à quel niveau du monde arrêter la signification ? (I 1097) A l’actualité (Restauration anglaise pour Athalie) ? A la crise politique (crise turque de 1671 pour Mithridate) ? Au «courant d’opinion» ? A la «vision du monde» (Goldmann) ? Et si l’œuvre signifie l’auteur, la même incertitude recommence : à quel niveau de la personne fixer le signifié ? à la circonstance biographique ? au niveau passionnel ? à une psychologie d’âge ? à une psyché de type archa_que (Mauron) ? Dans Esther, les Israélites opprimés sont-ils les protestants, les jansénistes, les filles de l’enfance, ou l’humanité privée de rédemption ? La Terre qui boit le sang d’Erechtée, est-ce là couleur mythologique, trait précieux ou fragment d’un fantasme proprement racinien ? L’absence de Mithridate est-elle exil de tel roi temporel ou silence menaçant du Père ? (I 1098) Et toutes significations étant reconnues présomptives, comment ne pas préférer celles qui se placent résolument au plu profond de la personne (Mauron) ou du monde (Goldmann), là où on a quelque chance d’atteindre une unité véritable ? Et puisqu’ils sont (Mauron et Goldmann) historiens de la création littéraire, comment se représentent-ils cette création ? Qu’est exactement une œuvre à leurs yeux ? (I 1099) Mais ne voit-on pas que, si le contenu épisodique de la preuve est objectif, le postulat qui en justifie la recherche est, lui, parfaitement systématique ? (I 1101) Osera-t-on dire à Jean Pommier que ce qui plaît dans son érudition, c’est qu’elle marque des préférences, flaire certains thèmes et non point d’autres, bref qu’elle est le masque vivant de quelques obsessions ? Ne sera-t-il plus sacrilège, un jour, de psychanalyser l’Université ? Et pour en revenir à Racine, pense-t-on qu’on puisse démonter le mythe racinien, sans qu’y comparaissent tous les critiques qui ont parlé de Racine ? Quant à l’envers des choses, quant à ce lien très subtil qui unit l’œuvre à son créateur, comment y toucher, sinon en termes engagés ? (I 1102)
Textes
Sémantiquement, c’est-à-dire du point de vue de la communication, comment est constitué un texte publicitaire (la question est aussi valable pour l’image, mais elle est beaucoup plus difficile à résoudre) ? (I 1143) Que se passe-t-il donc lorsque l’on reçoit un double message, dénoté-connoté (c’est la situation même des millions d’individus qui «consomment» la publicité) ? Qu’est-ce qu’être «bon» ou «mauvais», pour un message publicitaire ? (I 1145) Qu’est-ce que la forme pour Goldmann ? (I 1147) Le niveau auquel se place Goldmann est essentiellement idéologique : que devient, dans cette macro-critique, la surface verbale de l’œuvre, ce corps parfaitement cohérent de phénomènes formels (au sens le plus extérieur du terme), écritures, rhétoriques, modes de narration, qui font, eux aussi, le roman ? (I 1148) Imaginez-vous une littérature-vérité, analogue au cinéma-vérité ? (I 1155) Comment découper (sémantiquement), comment faire varier le sens d’un film, d’un fragment de film ? (I 1155) Comment le cinéma manifeste-t-il ou rejoint-il les catégories, les fonctions, la structure de l’intelligible élaborées par notre histoire, notre société ? (I 1159) Ce que je me demande maintenant, c’est s’il n’y a pas des arts, par nature, par technique, plus ou moins, réactionnaires. (I 1160)

1962

Tuesday, February 20th, 2007

Textes
L’écriture confirme-t-elle, infléchit-elle ou contrarie-t-elle la version agraphique de l’intelligible fournie déjà par les pratiques elles-mêmes ? Le village de toile réel (ou du moins matériel) est-il le même que le village de toile des prospectus et des conversations ? En d’autres termes, le langage a-t-il, dans les sociétés à écriture, une fonction de pure dénotation ou, au contraire, de connotation complexe ? (I 971) Que croyez-vous qui rende Balzac aujourd’hui encore fascinant ? Son pouvoir de décrire la vie ? (I 979) Quelle est la question qu’a posée le Nouveau Roman ? Pourquoi l’érotisme a-t-il disparu de la littérature ? (I 980)

1961

Tuesday, February 20th, 2007

Textes
Pourquoi donc (le joyau) a-t-il été si constamment associé chez nous à la femme, à ses pouvoirs et à ses malifices ? (I 912) Qu’est-ce donc que le bon goût, pour le bijou d’aujourd’hui ? (I 913) Qu’est-ce que l’avant-garde ? (I 915) Qui pourrait prétendre qu’en France, le vin, ce n’est que du vin ? Combien de chansons sur le vin, en France ? (I 924) Qu’est-ce que la nourriture ? Comment étudier cette réalité alimentaire, élargie jusqu’à l’image et au signe ? (I 926) Si la nourriture est un système, quelles peuvent en être les unités ? Si les unités de notre système alimentaire ne sont pas les produits de notre économie, peut-on au moins avoir dès maintenant quelque idée de ce qu’elles pourraient être ? (I 927) Pourquoi ne pas se référer, si les faits sont assez nombreux et assez clairs, à un certain «esprit» de la nourriture, si l’on veut bien accepter ce terme romantique ? (I 928) A quoi serviront les unités ainsi repérées ? A quoi peuvent renvoyer ces significations alimentaires ? (I 929) Ce qu’on peut demander à Robbe-Grillet, c’est ce qu’il va faire de ce pouvoir qu’il a essayé d’acquérir sur les «choses», ou plus exactement sur les «mots-choses» : est-ce qu’il veut continuer à faire des «textes» ou se mettre à faire des «romans» ? S’il prétend au roman, se sera pour raconter quoi ? Comment compte-t-il s’y prendre pour concilier le récit et la vision ? (I 934) Quels sont les effets psycho-sociologiques des communications de masse sur le public ? De quelle nature et de quelle importance ? Quel est le rôle réciproque des groupes producteurs et du public dans l’élaboration des contenus ? Que deviennent les communications de masse selon les classes, les régimes et les sociétés auxquels elles sont proposées ? Sont-elles un moyen d’intégration des hommes à la société moderne ou contribuent-elles au contraire à esquiver les problèmes de cette intégration ? Sont-elles appelées à constituer un nouveau langage humain et pour tout dire une nouvelle culture ? En un mot : quelle est la signification du phénomène ? (I 937) Quel est le contenu du message photographique ? Qu’est-ce que la photographie transmet ? Existe-t-il d’autres messages sans code ? (I 939) Comment donc la photographie peut-elle être à la fois «objective» et «investie», naturelle et culturelle ? (I 941) Comment lisons-nous une photographie ? Que percevons-nous ? Dans quel ordre, selon quel itinéraire ? Qu’est-ce même que percevoir ? (I 946) Est-ce à dire qu’une pure dénotation, un en deçà du langage soit impossible ? (I 948) L’image moderne est-elle spirituellement bonne ou mauvaise ? (I 951) Nous vivons entourés, imprégnés d’image, et pourtant nous ne savons encore presque rien de l’image : Qu’est-elle ? Que signifie-t-elle ? Comment agit-elle ? Que communique-t-elle ? L’image touche-t-elle l’homme pur, l’homme anthropologique, ou au contraire l’homme socialisé, l’homme déjà marqué par sa classe, son pays, sa culture ? Bref, l’image relève-t-elle d’une psycho-physiologie ou d’une sociologie ? Et si elle relève des deux, selon quelle dialectique ? (I 953)