1964

Essais critiques
Huîtres, pulpes de citrons, verres épais contenant un vin sombre, longues pipes en terre blanche, marrons brillants, fa_ences, coupes en métal bruni, trois grains de raisin, quelle peut être la justification d’un tel assemblage, sinon de lubrifier le regard de l’homme au milieu de son domaine, et de faire glisser sa course quotidienne le long d’objets dont l’énigme est dissoute et qui ne sont plus rien que des surfaces faciles ? Qu’ai-je besoin de la forme principielle du citron ? (I 1178) N’est-ce pas exactement l’univers du tableau hollandais ? (I 1180) Qu’ont-ils (les visages hollandais) à faire du temps des passions ? Qu’est-ce donc qui signale ces hommes au sommet de leur empire ? (I 1182) Par quoi donc impose-t-elle son irréalité ? A-t-on pensé à ce qui arrive quand un portrait vous regarde en face ? (I 1183) Que se passe-t-il quand les hommes sont heureux tout seuls ? Que reste-t-il alors de l’homme ? (I 1184) Qu’est-ce que la théâtralité ? (I 1194) Faut-il jouer le théâtre antique comme de son temps ou comme du nôtre ? faut-il reconstituer ou transporter ? faire ressentir des ressemblances ou des différences ? Cela nous concerne-t-il ? Comment ? En quoi ? (I 1218) Qu’était exactement L’Orestie pour les contemporains d’Eschyle ? Qu’avons-nous à faire, nous, hommes du XXe siècle, avec le sens antique de l’œuvre ? (I 1222) N’est-ce pas elle (la bourgeoisie), en fin de compte, qui dispense à l’art d’avant-garde le soutien parcimonieux de son public, c’est-à-dire de son argent ? (I 1224) Le théâtre brechtien est un théâtre moral, c’est-à-dire un théâtre qui se demande avec le spectateur : qu’est-ce qu’il faut faire dans telle situation ? Ceci amènerait à recenser et à décrire les situations archétypiques du théâtre brechtien ; elles se ramènent, je pense, à un problème unique : comment être bon dans une société mauvaise ? (I 1230) Qu’avons-nous de commun, aujourd’hui, avec Voltaire ? (I 1235) Que peut donc l’homme sur le Bien et le Mal ? (I 1237) Que se passe-t-il au XVIe siècle (moment d’autant plus significatif que c’est à Michelet que nous devons la notion même de Renaissance) ? (I 1251) Michelet ne dit-il pas quelque part cette chose surprenante, qu’on faisait périr les sorcières à cause de leur beauté ? (I 1258) Comment, du sein même de la littérature, c’est-à-dire d’un ordre d’action privé de toute sanction pratique, comment décrire le fait politique sans mauvaise foi ? Comment produire une littérature «engagée» (un mot démodé mais dont on ne peut se débarrasser si facilement) sans recourir, si je puis dire, au dieu de l’engagement ? Bref, comment vivre l’engagement, ne serait-ce qu’à l’état de lucidité, autrement que comme une évidence ou un devoir ? (I 1267) Notre littérature serait-elle donc toujours condamnée à ce va-et-vient épuisant entre le réalisme politique et l’art-pour-l’art, entre une morale de l’engagement et un purisme esthétique, entre la compromission et l’asepsie ? Ne peut-elle jamais être pauvre (si elle n’est qu’elle-même) ou confuse (si elle est autre chose qu’elle-même) ? Ne peut-elle donc tenir une place juste dans ce monde-ci ? Est-ce Kafka qui nous répond ? S’agit-il de décrire la terreur bureaucratique du moment moderne ? S’agit-il d’exposer les revendications de l’individualisme face à l’envahissement des objets ? (I 1270) Comme le dit très bien Marthe Robert, la solitude, le dépaysement, la quête, la familiarité de l’absurde, bref les constantes de ce qu’on appelle l’univers kafkaïen, cela n’appartient-il pas à tous nos écrivains, dès lors qu’ils refusent d’écrire au service du monde de l’avoir ? (I 1271) L’allusion renvoie l’événement romanesque à autre chose que lui-même, mais à quoi ? (I 1272) Qui parle ? Qui écrit ? (I 1277) Quel écrivain supporterait que l’on psychanalyse son écriture ? (I 1280) En somme, la mode écrite n’est qu’une littérature particulière, exemplaire cependant, puisqu’en décrivant un vêtement, elle lui confère un sens (de mode) qui n’est pas le sens littéral de la phrase : n’est-ce pas la définition même de la littérature ? (I 1284) Que dire à une conscience malheureuse et qui a, historiquement, raison de l’être ? (I 1285) Peut-on faire une revue avec de l’indirect ? Alors, que faire ? (I 1287) Pourquoi la revue ne s’engagerait-elle pas, puisque rien ne l’en empêche ? (I 1288) Cependant, qu’est-ce que le réel ? (I 1289) Je suis dans ma chambre, je vois ma chambre ; mais déjà, est-ce que voir ma chambre, ce n’est pas me la parler ? Et même s’il n’en est pas ainsi, de ce que je vois, qu’est-ce que je vais dire ? Un lit ? Une fenêtre ? Une couleur ? (I 1290) La littérature n’est-elle pas ce langage particulier qui fait du «sujet», le signe de l’histoire ? (I 1291) Peut-on imaginer qu’il y ait derrière toutes ces formes variées de la conscience démentielle, un signifié stable, unique, intemporel, et pour tout dire, «naturel» ? (I 1295) Y a-t-il forme plus pure qu’une classification ? (I 1302) Tout récit mythique, selon l’hypothèse de Claude Lévi-Strauss, n’est-il pas produit par une mobilisation d’unités récurrentes, de séries autonomes (diraient les musiciens), dont les déplacement, infiniment possibles, assurent à l’œuvre la responsabilité de son choix, c’est-à-dire sa singularité, c’est-à-dire son sens ? (I 1307) Quels sont donc ces troubles de la causalité, sur lesquels s’articule le fait divers ? (I 1311) Le point sur Robbe-Grillet ? On sait que l’œuvre d’Alain Robbe-Grillet traite de ce problème de l’objet littéraire ; les choses sont-elles inductrices de sens, ou bien au contraire sont-elles «mates» ? L’écrivain peut-il et doit-il décrire un objet sans le renvoyer à quelque transcendance humaine ? Signifiants ou insignifiants, quelle est la fonction des objets dans un récit romanesque ? En quoi la façon dont on les décrit modifie-t-elle le sens de l’histoire ? la consistance du personnage ? le rapport même à l’idée de littérature ? (I 1317) Entre les deux Robbe-Grillet, le Robbe-Grillet n° 1, «chosiste», et le Robbe-Grillet n° 2, «humaniste», entre celui de la toute première critique et celui de Bruce Morrissette, faut-il choisir ? Quel est ce sens ? Qu’est-ce que les choses signifient, qu’est-ce que le monde signifie ? Quel dieu, disait Valéry, oserait prendre pour devise : Je déçois ? (I 1321) Qu’est que le structuralisme ? (I 1328) Comment l’homme structural accepterait-il l’accusation d’irréalisme qu’on lui adresse parfois ? Les formes ne sont-elles pas dans le monde, les formes ne sont-elles pas responsables ? Ce qu’il a eu de révolutionnaire dans Brecht, était-ce vraiment le marxisme ? N’était-ce pas plutôt la décision de lier au marxisme, sur le théâtre, la place d’un réflecteur ou l’usure d’un habit ? (I 1333) Comment un objet peut-il avoir une histoire ? Faut-il donner à ce genre de composition (Histoire de l’œil de Bataille) le nom de «poème» ? (I 1348) Quoi de plus «sec» que le soleil ? Tous ces signifiants «en échelle» renvoient-ils à un signifié stable, et d’autant plus secret qu’il serait enseveli sous toute une architecture de masques ? Bref, y a-t-il un fond de la métaphore et, partant, une hiérarchie de ses termes ? (I 1348) Casser un œuf ou crever un œil, ce sont là des informations globales, qui n’ont guère d’effet que par rapport à leur contexte, et non par rapport à leur composants : que faire de l’œuf, sinon le casser, et que faire de l’œil, sinon le crever ? (I 1350) Et pourtant, qu’est-ce que la littérature ? Pourquoi écrit-on ? Racine écrivait-il pour les mêmes raisons que Proust ? (I 1353) Qu’est-ce que la critique ? (I 1357) Comment croire en effet que l’œuvre est un objet extérieur à la psyché et à l’histoire de celui qui l’interroge et vis-à-vis duquel le critique aurait une sorte de droit d’exterritorialité ? Par quel miracle la communication profonde que la plupart des critiques postulent entre l’œuvre et l’auteur qu’ils étudient, cesserait-elle lorsqu’il s’agit de leur propre œuvre et de leur propre temps ? Y aurait-ils des lois de création valables pour l’écrivain mais non pour le critique ? Une activité peut-elle être «vraie» ? (I 1359) Qu’est que le théâtre ? Quels rapports ces signes disposés en contrepoint (c’est-à-dire à la fois épais et étendus, simultanés et successifs), quel rapport ces signes ont-il entre eux ? Ils n’ont pas même signifiants (par définition) ; mais ont-ils toujours même signifié ? Concourent-ils à un sens unique ? Quel est le rapport qui les unit à travers un temps souvent fort long à ce sens final, qui est, si l’on peut dire, un sens rétrospectif, puisqu’il n’est pas dans la dernière réplique et n’est cependant clair que la pièce une fois finie ? D’autres parts, comment est formé le signifiant théâtral ? Quels sont ses modèles ? (I 1362) La littérature possède-t-elle une forme, sinon éternelle, du moins transhistorique ? (I 1367) Comment nier qu’il y a un rapport personnel entre un critique (ou même tel moment de sa vie) et son langage ? Quel intérêt y aurait-il à soumettre Michelet à une critique idéologique, puisque l’idéologie de Michelet est parfaitement claire ? (I 1371)
La Tour Eiffel
Qui peut dire ce que la Tour (Eiffel) sera pour les hommes de demain ? (I 1384) Pourquoi visite-t-on la Tour Eiffel ? (I 1386) Qu’est-ce en effet qu’un panorama ? (I 1387) Comment s’enfermer dans du vide, comment visiter une ligne ? Que se passe-t-il ? Que devient la grande fonction exploratrice du dedans, lorsqu’elle s’applique à se moment vide et sans profondeur, que l’on dirait fait entièrement d’une matière extérieure ? (I 1390)
Textes
Pourquoi ce paradoxe qui fait l’argument intellectuel plus vivant (plus terrible) que l’histoire charnelle ? (I 1405) Que dirait K. (Khrouchtchev) à quelqu’un qui récuserait superbement le sens de la langue russe sous le prétexte qu’il ne la comprend pas ? (I 1408) Une société sans roman ? Quel est l’objet de nos grands romans passés ? (I 1409) Qu’est-ce que l’image, Combien y en a-t-il de sortes ? Comment classer ? Où commence-t-elle ? Où finit-elle ? (I 1410) La représentation analogique (la «copie) peut-elle produire de véritables systèmes de signes et non plus seulement de simples agglutinations de symboles ? Un «code» analogique - et non plus digital - est-il concevable ? Comment le sens vient-il à l’image ? Où le sens finit-il ? Et s’il finit, qu’y a-t-il au-delà ? (I 1417) Le message linguistique se laisse facilement séparer des deux autres messages ; mais ces messages là ayant la même substance (iconique), dans quelle mesure a-t-on le droit de les distinguer ? Le message linguistique est-il constant ? Y a-t-il toujours du texte dans, sous ou alentour l’image ? Quelle est la structure signifiante de l’«illustration» ? (I 1420) L’image double-t-elle certaines informations du texte, par un phénomène de redondance, ou le texte ajoute-t-il une information inédite à l’image ? Quelles sont les fonctions du message linguistique par rapport au message iconique (double) ? (I 1421) Le codage du message dénoté a-t-il des conséquences sur le message connoté ? (I 1424) Comment nommer les signifiés de connotation ? (I 1426) (…) cette réflexion que, pour le moment du moins, nous appelons sémiologie. Science des messages sociaux ? des messages culturels ? des informations secondes ? Saisie de tout ce qui est «théâtre» dans le monde, de la pompe ecclésiastique à la coiffure des Beatles, du pyjama de soirée aux joutes de la politique internationale ? (I 1430) Dans toute l’œuvre de Cayrol quelqu’un vous parle, mais on ne sait jamais qui. S’agit-il de narrateurs particuliers, dont l’individualité est renouvelée roman après roman, et Gaspard diffère-t-il d’Armand comme Fabrice de Julien Sorel ? Est-ce un narrateur unique, dont la voix reprend de livre en livre ? Est-ce Cayrol lui-même, à peine abrité derrière cet autre qui parle ? (I 1432) Quelle parole faire, avec de la fatigue ? (I 1435) Comment se louer d’une contrainte imposée par la nature du langage ? (1443)

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