1979

dois-je tenir un journal en vue de le publier ? Barthes

L’exercice d’écriture quotidien du blog accompagne mes lectures. Délibérations de Barthes sur l’usage du journal intime. Le blog n’est pas un journal intime. Ou pas seulement cela.
Mais, qu’est-ce qu’un blog ?
La lecture du blog m’a longtemps paru un peu fastidieuse, sans intérêt, pire, chronophage. Chacun te renvoyant à d’autres blogs, par un principe de type borgésien. Tu n’en sors jamais.
Mais, tout de même, c’est quoi un blog ? Pourquoi blog-je ? Et de google en blogs, tu desordre.net et puis nanoblog.com et aussi samantdi.net oublier …
Et enfin tu Wikipédiates :
Un blog ou blogue est un site Web constitué par la réunion d’un ensemble de billets triés par ordre chronologique. Chaque billet (appelé aussi note ou article) est, à l’image d’un journal de bord ou d’un journal intime, un ajout au blog ; le blogueur (tenant du blog) y porte un texte, souvent enrichi d’hyperliens et d’éléments multimédias et sur lequel chaque lecteur peut généralement apporter des commentaires.

Donc, un journal ?
Même si on ne trouve pas que des journaux intimes dans les blogs, cela a quand même lancé un espace de visibilité, de lisibilité à une parole, une écriture personnelle. Jusqu’à l’avénement du blog, finalement, le journal intime avait pour vocation à le rester, intime. Il restait au fond du tiroir, caché, dissimulé aux regards des proches. C’est en cela que le journal intime, à part ceux des écrivains ou autres artistes, qui prennent valeur d’œuvre, m’a toujours paru un objet bien singulier et empreint d’égotisme. Pourtant, l’ego n’en est encore un que parce qu’il se permet d’être impudique. Pourquoi écrire si ce n’est pour être lu par un autre? Par un autre que soi-même, spectateur d’une scène intime propice à l’exhibition du Moi. Car quelle étrange opération que de se relire ? Car relit-on jamais son journal intime ? Se relire. Quand on y pense. «Travailler à quoi ? A me relire, hélas.» Car là , plus qu’ailleurs, c’est soi-même qu’on relit, c’est un «je» qu’on relit le lendemain, ou quelques années plus tard. Se re-lire. Lire soi-même à nouveau. Est-ce un objet littéraire ? Le Journal, si «bien écrit» soit-il, est-ce de l’écriture ?
Mais la question de la publication ne se posait que chez l’artiste ou l’homme public. Dois-je tenir un journal en vue de le publier ? Ce qui change fatalement la nature du journal. Le journal intime de l’écrivain est-il de même nature que celui du quidam? Acquiert-il une valeur d’œuvre du fait même qu’il est le produit de l’écrivain? S’il l’écrit pour qu’il soit publié, quelle valeur prend ce «je» qui se dévoile, à quel degré de sincérité ? Est-ce que le seul vrai journal serait celui qui aurait échappé à l’ego ?

Le blog redistribue les cartes, ou les brouillent, c’est selon. Car, il repose la question du journal pour un lecteur autre que soi-même.
La tentation narcissique Net de publication ?
Le relatif anonymat de la toile, avec l’utilisation de pseudos, permet de se dévoiler sans se montrer. Mais, nouveauté : le lecteur peut désormais apparaître et s’immiscer dans cette intimité-forum en ajoutant un commentaire.

Lecture de Philippe Lejeune. Le journal du petit cahier est-il contre-nature, le monstre de l’homme ? Que doit-on entendre par «monstrueux» ? Le plaisir de cet écrit secret, destiné qu’à soi-même est-il fascination regressive et perte d’attention à la vie ou bien l’anti-poison d’une voix sans issue ?

Nicolas Bigards

Sollers écrivain
Mais l’isolé absolu ? Celui qui n’est ni breton, ni corse, ni femme, ni homosexuel, ni fou, ni arabe, etc. ? Celui qui n’appartient même pas à une minorité ? (III 930) Quel est cet homme ? Quel est l’objet de son désir ? Qu’est-ce qui le soutient ? lui résiste ? (III 934) Quelle est la fable élémentaire ainsi poursuivie et dont la poursuite fait le livre ? (III 936) Qu’est-ce qu’une histoire ? A quel niveau de moi-même, du monde, vais-je décider qu’il m’arrive quelque chose ? Pourquoi commencer ici plutôt que là ? (III 937) A-t-elle jamais commencé ? (III 938) Un communiste à «Tel quel» ? Pourquoi pas, si cela est désécrire l’anticommunisme dont s’est nourrie (surnourrie) l’intelligentsia de gauche, et si c’est du même coup - il ne faut pas l’oublier - désécrire l’antiformalisme traditionnel des intellectuels communistes ? (III 947) Le rapport de cela avec la révolution ? A quoi bon copier le réel, même d’un point de vue révolutionnaire, puisque ce serait recourir à la langue bourgeoise par excellence, qui est précisément celle de la copie ? (III 949) L’écriture chinoise n’est-elle pas née, dit-on, des craquelures apparues sur des écailles de tortue chauffées à blanc ? Le vers n’est-il pas ce qui se détache et vient percuter ? (III 952) La phrase littéraire n’est-elle pas un montage ? (III 954) On peut se demander : par quoi l’humanité a-t-elle commencé ? le Mot ou tout de suite la Phrase ? H à la Bibliothèque nationale ? Comment fait-on un article de critique ? Comment lire ce qui est attesté ici et là comme illisible ? (III 956) Il y a des snobs de l’avant-garde ? (III 957) L’honnêteté (libérale) ne consisterait-elle pas à se dire d’abord : si vous êtes incompréhensibles, c’est que je suis bête, ignorant ou mal intentionné ? (III 957) Quand aura-t-on le droit d’instituer et de pratiquer une critique affectueuse, sans qu’elle passe pour partiale ? Quand serons-nous assez libres (libérés d’une fausse idée de l’«objectivité») pour inclure dans la lecture d’un texte la connaissance que nous pouvons avoir de son auteur ? Pourquoi - au nom de quoi, par peur de qui - couperais-je la lecture du livre de Sollers de l’amitié que j’ai pour lui ? (III 960)
Textes
Comment les chiens, souvent si nobles, ne s’aperçoivent-ils pas de la bêtise de leur maître ? (III 969) Les Japonais regardent-ils quelquefois, et au cours de quels rites, les photographies qu’on les voit sans cesse en train de prendre ? (III 972) Et si l’on supprimait l’impératif ? Si les hommes se donnaient le pouvoir de rayer de la langue tous ses morphèmes répressifs ? (III 977) Peut-être l’écrivain est-il toujours dépendant (d’une autorité, d’une économie, d’une morale, d’un sur-moi collectif, etc.) ? Peut-être n’écrit-il, quel que soit le libéralisme de sa société, qu’en trichant avec la force ? Peut-être l’écriture est-elle politiquement perverse ? (III 981) Ne voyons-nous pas aujourd’hui que l’«humain», c’est comme la somme infinie des particularités irréductibles ? Maintenant que le pouvoir est partout (grande et sinistre découverte -même si elle est naïve - des gens de ma génération), au nom de quel parti démystifier ? (III 989) Mais, après tout, il y a un combat pour la douceur : à partir du moment où la douceur est décidé, ne devient-elle pas une force ? En quoi cette forme peut-elle être cependant politique ? Pourquoi donner le ténu, le futile, l’insignifiant, pourquoi risquer l’accusation de dire des «riens» ? Ne devons-nous pas aujourd’hui faire entendre le plus grand nombre de «petits mondes» ? Attaquer le «grand monde» (grégaire) par la division inlassable des particularités ? (III 991) Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui fait que tout d’un coup, un mois d’été, à Paris, «ça a pris», et pour toujours (jusqu’à la mort de Proust, en 1922, et bien au-delà, puisque notre lecture présente, active, ne cesse d’augmenter la Recherche, de la surnourrir) ? (III 994) Lorsqu’on parle, on regarde qui ? quoi ? et selon quels changements ? Or «presque» est un mot auquel la science répugne : Comment assurer, imposer, intimider, avec des «presque», des «plus», des «moins», des «oui, mais» ? (III 999) Que se passe-t-il quand deux ou plusieurs parlent de quelqu’un ou de quelque chose ? (III 1001) Mais, encore une fois, est-ce que cette bienveillance finale, atteinte après avoir traversé une phase de rejet, justifie de tenir (systématiquement) un journal ? Est-ce que ça vaut la peine ? (III 1004) Dois-je tenir un journal en vue de le publier ? Puis-je faire du journal une «œuvre» ? N’ai-je pas un vif plaisir à lire dans le Journal de Tolstoï la vie d’un seigneur russe au XIX siècle ? (III 1005) Qu’est-ce donc que cette impuissance à la foi ? Peut-être un amour très humain ? L’amour exclurait la foi ? Et vice versa ? (III 1006) Pourquoi est-ce que je suspecte, du point de vue de l’Image, l’écriture du Journal ? (III 1012) Mais le Journal ne peut-il être précisément considéré et pratiqué comme cette forme qui exprime essentiellement l’inessentiel du monde, le monde comme inessentiel ? Comment tenir un Journal sans égotisme ? N’y a-t-il pas des moments «historiques» où il faut être historien ? En pratiquant à outrance une forme désuète d’écriture, est-ce que je ne dis pas que j’aime la littérature, que je l’aime d’une façon déchirante, au moment même où elle dépérit ? (III 1013) Le Journal, si «bien écrit» soit-il, est-ce de l’écriture ? (III 1014) Est-ce qu’il est «camp», ce baron von Gloeden ? Dans notre univers policier, la photographie n’est-elle pas la preuve invincible des identités, des faits, des crimes ? (III 1015) Quels que soient les avatars de la peinture, quels que soient le support et le cadre, c’est toujours la même question : qu’est-ce qui se passe, là ? (III 1021) Du point de vue du «style», valeur haute qui suscita le respect de tous les Classiques, quoi de plus éloigné du Voile d’Orphée que ces quelques lignes enfantines d’arpenteur apprenti ? (III 1027) Et qui pourrait écrire mieux qu’un peintre ? (III 1028) L’espace traité n’est plus dès lors dénombrable, sans pour autant cesser d’être pluriel : n’est-ce pas selon cette opposition à peine tenable, puisqu’elle exclut à la fois le nombre et l’unité, la dispersion et le centre, qu’il faut interpréter la dédicace que Webern adressait à Alban Berg : «Non multa, sed multum» ? (III 1032, 1047) Qui c’est, Cy Twombly (ici dénommé TW) ? Qu’est-ce qu’il fait ? Comment nommer ce qu’il fait ? «Enfantins», les graphismes de TW ? Oui, pourquoi pas ? Bref il provoque en nous un travail de langage (n’est-ce pas précisément ce travail - notre travail - qui fait le prix d’une œuvre ?) (III 1033) Qu’est-ce que l’essence d’un pantalon (s’il en a une) ? Qu’est-ce qu’un geste ? (III 1034) L’écriture n’habite plus nulle part, elle est absolument de trop - N’est-ce pas à cette limite extrême que commence vraiment «l’art», «le texte», tout le «pour rien» de l’homme, sa perversion, sa dépense ? (III 1036) Mais qu’est-ce que la couleur ? (III 1039) Difficulté de la page blanche : souvent ce blanc provoque une panique : comment le salir ? (III 1040) Que sont les autres pour moi ? Comment dois-je les désirer ? Comment dois-je me prêter à leur désir ? Comment faut-il se tenir parmi eux ? Comment faire un trait qui ne soit pas bête ? (III 1044) Pourquoi «se reprendre», puisqu’il n’y a pas de maîtrise ? Pourquoi la pulsion serait-elle de droit violente, grossière ? (III 1046) Enfin, renversez l’image et lisez à loisir la physionomie d’Holopherne, c’est un visage très personnalisé, et cela d’une façon surprenante : car dans sa position (sa fonction), avait-il besoin de ressembler à quelqu’un ? (III 1054) Comment supporter que ce flot qu’il y a en moi aboutisse dans le meilleur des cas à un filet d’écriture ? (III 1073) Faut-il lutter ou non ? Doit-on lutter pour périmer le sens, le détruire, le transmuter, pour atteindre par les mots une autre zone du corps ne relevant pas de la logique syntaxique ou, au contraire, faut-il ne pas lutter ? (III 1076) Sans l’évaluation sensible de cette crise-là, sans cet amour, que comprendrait-on à ce qui fait la modernité d’un syntacticien et d’un lexiste aussi prodigieux que Chateaubriand ? (III 1089)

4 Responses to “1979”

  1. Stephaniecleau Says:

    1_L’écriture chinoise n’est-elle pas née ?
    Dilemme du jour…Mettre cette citation sur la page Tortue ou sur la page Sinogramme ?
    Stephaniecleau
    membre depuis 2007

  2. Stephaniecleau Says:

    1_Comment les chiens…?
    Il va falloir attendre deux jours avant de pouvoir contribuer à la page chien, car « en raison de vandalisme cet article est temporairement semi protégé : seules les personnes inscrites depuis quatre jours peuvent y contribuer. » …Les pages canines sujettes au ‘vandalisme’…
    Stephaniecleau
    Membre depuis 2007

  3. Stephaniecleau Says:

    2_Comment les chiens…?
    Avant de rajouter la citation, je vois qu’il y a un chapitre consacré aux chiens réels célèbres. Mabrouk n’y figure pas et je le rajoute. Quand toutes nos citations de Roland Barthes seront virées le 14 février par EpsilonO puis le 1er mars par Gonioul, ce rajout sera le seul à être conservé. A noter ce mail de Markov justifiant mon exclusion de cette page « Bonjour,
    L’ajout de citations ou de liens externes doit être très directement en rapport avec l’article en question de Wikipédia.
    Par exemple, Roland Barthes n’est pas reconnu comme un spécialiste des chiens, donc citer son ouvrage sur la page “chien” est hors-sujet. »
    Stephaniecleau
    Membre depuis 2007

  4. Stephaniecleau Says:

    1_Les Japonais regardent-ils quelquefois…?
    Il existe dans l’article un petit chapitre sur la photographie comme art populaire et argumenté ainsi : « Pensons seulement aux touristes japonais, l’appareil photographique toujours en bandoulière… »
    Stephaniecleau
    Membre depuis 2007

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